Deux ans après l’adoption de la loi française sur le devoir de vigilance, les entreprises françaises publient leurs premiers plans de vigilance. Nous constatons que les mesures prises par les entreprises de l’agro-industrie sont succinctes et ne répondent pas aux exigences légales. Le rapport du CCFD-Terre Solidaire « La vigilance au menu » met en lumière les risques qui doivent impérativement être pris en compte dans ce secteur pour que le respect des droits humains et la protection de l’environnement ne restent pas lettres mortes.
En mars 2017, la loi française sur le devoir de vigilance, pour laquelle le CCFD-Terre Solidaire s’est fortement mobilisé, est adoptée. Cette loi contraint les entreprises françaises comptant plus de 5.000 salariés en France ou plus de 10.000 salariés dans le monde à un devoir de vigilance sur leurs actions et celles de leurs filiales, sous-traitants et fournisseurs de par le monde. Les grandes entreprises françaises ont donc désormais l’obligation d’établir, de publier et de mettre en œuvre un plan de vigilance basé sur un inventaire des risques que leurs activités font peser sur les libertés fondamentales, les droits humains et l’environnement. Si des violations aux droits humains ou à l’environnement surviennent malgré tout, les personnes affectées peuvent utiliser cette loi pour demander réparation devant les tribunaux français. La loi sur le devoir de vigilance représente donc une étape majeure pour mettre fin à l’impunité des grandes entreprises et faciliter l’accès à la justice des personnes affectées par leurs activités.
Le secteur agroalimentaire sous le feu des projecteurs
Avec un chiffre d’affaires de 180 milliards d’euros en 2017, l’agro-industrie est un des secteurs majeurs de l’économie française : la France se place en deuxième position au niveau européen et en quatrième position au classement mondial des exportateurs agroalimentaires. Le système alimentaire français est également fortement dépendant des importations de matières premières agricoles provenant de pays tiers à l’Union Européenne. Les entreprises françaises de l’agroalimentaire ont donc une responsabilité importante pour prévenir les risques que leurs activités font peser sur les droits humains et l’environnement en particulier à l’étranger.
Dans ce contexte, le rapport du CCFD-Terre Solidaire « La Vigilance au Menu » permet d’identifier et de mieux appréhender cinq risques caractéristiques à l’agro-industrie :
Les risques d’accaparement des terres et de l’eau
L’accaparement des terres agricoles est une véritable menace pour les paysans et les populations. Cela affecte les communautés locales qui voient leur équilibre économique, social, sociétal et environnemental se détériorer au profit des entreprises multinationales. A cet accaparement des terres s’ajoute l’appropriation des ressources en eaux qui prive les paysans et les populations locales de cette ressource vitale.
Les risques de violation des droits des populations paysannes
Au-delà de la problématique de l’accaparement des ressources, certaines entreprises bafouent les droits humains des paysans et paysannes en nouant avec eux des contrats et en s’octroyant des droits exclusifs sur les récoltes à venir. Au Vietnam, 90% du coton et du lait frais proviennent de productions contractualisées. Au Mozambique et en Zambie c’est 100% du coton et du tabac qui sont produits sous ce modèle. Le recours à la contractualisation peut entraîner les petits producteurs dans des spirales d’endettement et compromettre leur souveraineté alimentaire.
Les risques pour la biodiversité
La stratégie de standardisation des semences industrielles par les entreprises semencières menace directement la souveraineté alimentaire et la biodiversité. Cela réduit les possibilités, en n’ayant pas recours aux semences paysannes diversifiées, d’adapter les cultures aux dérèglements climatiques. De plus, l’oligopole formé par quelques industries semencières leur permet d’influencer les politiques de l’offre, de production et de vente des semences, mettant en péril les droits des paysans.
Les risques pour l’environnement et la santé
L’utilisation de pesticides par les entreprises fragilise les écosystèmes en conduisant à une contamination de l’air, pollution des sols et des eaux et en provoquant la disparition d’espèces végétales et animales. Les enjeux humains sont également importants puisque 30% des pesticides vendus dans les pays en développement ne sont pas conformes aux standards de qualité internationaux, ce qui augmente les risques liés à la santé. Aujourd’hui, 25 millions de travailleurs agricoles souffrent ainsi de maladies professionnelles liées à l’usage de pesticides.
Les risques pour ceux qui défendent les droits des paysans et de l’environnement
Les défenseurs des droits des paysans et de l’environnement sont quotidiennement confrontés à des risques importants pour leur vie. Ils travaillent sous la menace d’exécution extrajudiciaires, d’enlèvements, de surveillance, d’incriminations et d’intimidations qui résultent de leurs combats face à des intérêts économiques. En 2017, le secteur de l’agroalimentaire est devenu le plus risqué et le plus meurtrier pour les défenseurs des droits. 321 meurtres de défenseurs des droits ont eu lieu dans 27 pays en 2018.
Cette analyse détaillée démontre la pertinence de la loi sur le devoir de vigilance, interroge les politiques publiques et les modèles d’affaires des entreprises, et trace les contours d’un devoir de vigilance effectif pour prévenir les violations aux droits humains et à l’environnement.
« Alors que les initiatives se multiplient pour rendre les entreprises multinationales responsables de leurs impacts sur les droits humains et l’environnement devant la justice, les entreprises de l’agroalimentaire publient des plans de vigilance qui ne répondent pas aux exigences légales. Nous nous mobilisons aujourd’hui pour que les pouvoirs publics s’assurent que les entreprises appliquent leur devoir de vigilance de manière effective ». déclare Swann Bommier, chargé de plaidoyer sur la régulation des multinationales au CCFD-Terre Solidaire.
« Dans le monde, une personne sur trois n’a pas accès à une alimentation saine, durable et équilibrée. C’est le résultat de systèmes alimentaires mondialisés qui préfèrent nourrir les actionnaires des grandes multinationales plutôt que les populations. Les ravages potentiels de leurs activités sont pourtant connus : accaparements des terres, pollution des sols et des eaux, impacts sur la santé des producteurs et des populations riveraines liés à l’épandage de pesticide. Il faut arrêter de fermer les yeux ! », indique Maureen Jorand, responsable de service plaidoyer souveraineté alimentaire et climat.
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